De la rue au musée

Le Hip Hop est né dans la rue. Et pas n’importe quelle rue. Dans les rues des quartiers défavorisés où souvent, chômage, violence et précarité tenaient une place majeure dans la société. Le Hip Hop, nous l’avons vu, a été un vecteur de rassemblement pour pacifier les populations et, garde, dans son fort intérieur un aspect revendicatif.

A travers ce mouvement, les Crews tiennent la rue,  s’installe dans un lieu, y passe de la musique, et se servent du territoire et de ce qui les entoure pour s’exprimer.

La revendication tient donc une place primordiale dans le Hip Hop (celui des origines en tout cas). Que ce soit à travers la musique (Zulu Nation), à travers la danse, ou à travers la peinture.

Nous avons jusqu’ici parlé de musique. Attachons nous pour ce dernier article au street art, issu des mêmes racines et ayant des bases communes.

Le mouvement Hip Hop est en adéquation avec la ville : ces disciplines sont indissociables de l’espace urbain. L’important est d’impressionner ainsi que d’affirmer son existence et son appartenance à la ville ou à un quartier. La musique a été évoqué plus haut, nous nous attacherons ici au street art.

Le street art s’est développé à travers l’émergence du Hip Hop d’abord dans certains quartiers de New York puis dans le reste des Etats-Unis et dans le monde. Au début, simple nom (blaz) inscrit sur un mur, une forme de reconnaissance s’est au fur et à mesure développée entre les graffeurs suivant le lieu (souvent difficile d’accès) ou la qualité de l’oeuvre. A la base de ce mouvement, les simples tags (signatures) sont le moyen pour les graffeurs de marquer le territoire et imposer leur appartenance à la ville.

Aujourd’hui, partout dans le monde, des Master Pieces, ces grandes fresques en couleur, ornent les murs des villes.

Selon Abdoulaye Niang, sociologue à l’université Gaston Berger de St Louis, au Sénégal, et spécialiste du mouvement Hip-Hop, il existe aujourd’hui quatre valeurs fondamentales au street art : le fait de montrer sa présence dans la ville, l’expression artistique (Master Pieces) le sentiment de pouvoir (braver l’interdit) et la rébellion. Ces valeurs sont liées aux fonctions du street art qui sont, toujours selon Abdoulaye Niang, sociale, esthétique, et politique.

Sociale d’abord, parce que les graffeurs, délivrent des messages à la population, revendicatif, dénonciateur ou plus léger, mais souvent avec un caractère engagé. « De ce fait, les graffeurs participent à une meilleur critique politique et sociale par une conscientisation des masses ».

Esthétique ensuite, parce qu’en peignant les murs d’une ville, les artistes désirent participer à l’amélioration et à la personnalisation de l’espace urbain. La beauté est subjective, mais l’aspect artistique des fresques est bien réel (nous parlons ici de Master-Pieces qui se démarque des tags – simple signature – que l’on peut parfois observer). Le street art peut faire d’une surface sans intérêt un lieu particulier, traduisant la volonté de l’artiste d’embellir la ville. On peut finalement voir le street art comme une nouvelle ornementation de la ville, participant au bien être urbain.

Dans la ville de Valparaiso au Chili, la plupart des murs de la ville sont investis par les street artists, ce qui, à l’échelle de la ville, offre aux passants des murs en perpétuels changements.

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Le port de Valparaiso, lieu de passage depuis le XIXe siècle, a développé une véritable tradition autour du street art, jusqu’à devenir aujourd’hui un musée urbain.

Malgré divers bouleversements politiques, la tradition du street art s’est perpétuée. Au début, simple message engagé – sous une dictature ou sous la démocratie – les street artists se sont au fur et à mesure regroupés (crew) pour réaliser des fresques murales à caractère engagé ou non. Le street art à Valparaiso s’est tellement démocratisé qu’il est normal pour les habitants de voir certains artistes sonner à leur porte pour demander l’autorisation de peindre sur leurs murs.

Aujourd’hui, Valparaiso jouit d’une renommée internationale à travers le street art, et de nombreux graffeurs réputés se retrouvent pour peindre et continuer à faire vivre la ville.

Dans un cadre souvent illégal, le street art permet, en occupant sauvagement l’espace public, une amélioration du cadre urbain de par ses différentes fonctions.

La question qui est posée ici, à l’instar de la musique  Hip Hop, qui perd sons sens initial lorsqu’elle devient trop bling bling, le street art, arme de revendication, illégal etc… trouve-t-il sa place aujourd’hui dans les musées ?

En le sortant de la rue, il perd d’abord ces fondements sociaux et culturels, et décrit par Abdoulaye Niang. De plus, alors que l’art dans la rue s’adresse à tout le monde, sans aucune distinction, une fois dans un musée, il se réserve à une certaine élite.

Bien entendu,  ce n’est pas parce que le street art entre au musée qu’il n’existera plus dans la rue. Cependant, la question de la récupération interroge : pour la musique, comme pour la peinture, ce sont des mouvements qui ont été décriés à leurs débuts, renvoyant aux banlieues sensibles etc…

Aujourd’hui, on ne compte plus les clips où l’on peut admirer grosses cylindrées, billets à foisons et demoiselles peu habillées. Quel sens donner à ce genre de message ? (si message il y a…)

« Certains vendent des disques, d’autres des discours »

Medine

Source : Abdoulaye Niang, Un modèle existentialiste pour la jeunesse

 

Jérôme Mathiot, Paul de Robillard, Antoine Cartier

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