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La déterritorialisation

Le terme de « déterritorialisation » a été conceptualisé par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans l’Anti-Œdipe en 1972., « qui décrit tout processus de décontextualisation d’un ensemble de relations qui permet leur actualisation dans d’autres contextes. » (Wikipédia)

Par ailleurs, ce terme nous ramenant au concept clé de la géographie « culturelle » désigne le « fait de rompre le lien de territorialité entre une société et un territoire» (Wikipédia). Ce phénomène contemporain nous intéresse car il marque notre territoire et bouleverse nos repères traditionnels.

Jean-Jacques Bavoux définit le territoire et la territorialité : « Le territoire nait à l’interface entre une portion d’espace et un groupe humain. Mais la territorialité, c’est-à-dire l’ensemble des rapports qu’a la communauté avec cette étendue particulière, et multi-forme. (Territoire administratif, animal, identitaire …). »

La notion de territoire fait référence à une entité définie par ses frontières qui en sont ses limites. Elle nous donne une notion de repères. La déterritorialisation est composée du préfixe dé- qui indique une négation, une séparation ou une privation. Le suffixe –tion, lui, désigne un mode d’action. On peut donc définir la déterritorialisation comme l’opposé du fait territorial. Ce mot évoque donc un concept de perte de limites, de repères qui peut être une conséquence de la globalisation.

C’est pourquoi, nous nous intéresserons dans cet article, à travers des ouvrages pris au cours de notre siècle, à montrer comment la déterritorialisation nous renvoie donc aux principes de l’organisation de l’espace et de son fonctionnement.

«  Des lieux aux non lieux »

Augé, M. (1992). Non-lieux : Introduction à une anthropologie de la surmodernité. France : Editions du Seuil. 150p. –  (Collection La Librairie du XXIe siècle.)

Par la définition du concept du “non lieu”, M. Augé définit également ce qu’est un lieu.

« Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel, historique, un espace qui ne peut se définir comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non –lieu. L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non lieux … » (Augé, 1992, p.100)

Un lieu possède donc les attributs sociétaux de substance, histoire et d’identité qui ne sont pas interchangeables.

Mais un lieu, dans son sens géométrique, s’inscrit dans une portion d’espace de taille variable avec une position définie et une continuité spatiale à l’intérieur d’une limite qui le circonscrit.

Ce livre nous invite à réfléchir à la possibilité d’une déterritorialisation non seulement des personnes, mais des espaces eux mêmes.

Ainsi, la déterritorialisation d’un espace nous amène à penser sa mutation qui tend à s’extraire de sa position initiale. Ce qui résulterait d’une portion d’espace substituable et interchangeable, standardisée (hypermarché, aéroports, échangeurs autoroutiers) résonnant avec la qualification du non lieu de Marc Augé.

En introduction de ce livre, l’auteur narre l’itinéraire d’un voyageur globalisé et de ses pratiques dans un espace qualifié de non lieu (ici, l’aéroport) et en démontre les codes usuels dans ces espaces pour conquérir son anonymat afin d’en avoir l’accès.

Le phénomène de déterritorialisation, nous conduit à penser l’espace à toutes ses focales : de la microgéographie à une vision locale si nous référons à la notion d’un  « lieu » à la macrogéographie avec sa vision global nous renvoyant à la notion du « non lieu ».

Une mobilité sans cesse croissante

Virilio, P. ; Depardon R. ; Scofidio D. ; Hansen M. (2010). Terre natale : Ailleurs commence ici. France : Actes Sud. 152p.

Conversation entre Raymond De pardon et Pau Virilio p.9 -28

Paul Virilio s’exprime sur les phénomènes des mouvements migratoires de la société subissant des changements climatiques. Son regard à travers cette exposition, se porte sur une population qui tend à disparaître en marge de la mondialisation.

Il introduit en cela, la crise de la localisation dérivé des conflits climatiques, politiques, économiques…

Par ailleurs, son intérêt sur la notion du mouvement interroge l’enracinement rural et l’urbain « comment allons-nous vivre dans ce mouvement perpétuel ? » ; cela nous a semblé approprié avec la notion de déterritorialisation.

Paul Virilio explore ainsi, les mots clés tel que l’identité (inscription dans un lieu), traçabilité (inscription dans un mouvement) et le sédentarisme ; qui sont remis en cause par les nouvelles technologies de communication qui s’intensifie et développant l’interactivité.

«  … nous assistons à la fin de la ville… »

L’exil urbain n’est alors plus question de ville ayant un centre, de périphérie mais « d’outre-ville » mais est une « ville en mouvement ».

En cela, il met en évidence le développement des espaces « non lieux » : gares, aéroports, les espaces en transit… qui sont les carrefours de notre mondialisation.

Nous comprenons à travers cela qu’un espace quelque soit sa nature, n’est pas qu’un support passif ni un cadre inerte mais est un agent intervenant à travers de nombreux processus.

Le tourisme et la marchandisation du lieu

Urry J. et Larsen J., (2011). The Tourist Gaze 3.0. Los Angeles-Londres-New Delhi-Singapour-Washington : Sage. 282p. – (Collection TCS)

Après l’évocation de l’idée du mouvement avec Paul Virilio, l’imaginaire urbain nourrit par le tourisme et ses visiteurs s’infiltrant dans la modernité urbaine ou de la « surmodernité » de l’analyse de John Urry , nous conduit à nous intéresser au tourisme comme reflet et conséquence de cette pratique de la déterritorialisation.

L’auteur souligne dans ce livre l’importance du regard du touriste qui est un élément majeur à l’étude et à l’organisation de notre société : plus consommatrice, plus technologique et plus mobile.

Par ailleurs, ces analyses comportementales touristiques conditionnent les politiques d’aménagements mises en œuvre pour satisfaire au mieux les visiteurs et l’économie locale.

Le lieu touristique est donc une ressource économique avec un potentiel illimité créant son identité dans un espace né d’un “non-lieu” ou dans un espace ayant déjà un fond patrimonial. Ce qui semble fonctionner pour l’éternité , à condition de le maintenir à jour des pratiques touristiques. Cette condition induit qu’un lieu “as found” ne peut pas fonctionner touristiquement s’il n’a pas été revu et corrigé.

L’auteur appelle cela la métaphore du château de sable :

“ A particular physical environment does not inself produce a tourist place. A pile of appropiately texturee sand is nothing until it is turned into a sandcastle. It has to be designed into buildings, sociabilities, family life, friendship, and memories.”

(Urry, 2011, p 119)

Tous les lieux qui présentent des intérêts paysagers, historiques, culturels ou esthétiques, ne deviennent donc pas instantanément des destinations touristiques. Ils ont besoin d’être mis en tourisme . C’est-à-dire de souffrir d’une préparation en terme d’accessibilité, de planification des commodités mais aussi du récit qui l’accompagne.

La question de l’authenticité est également posé dans ce livre car le monde du tourisme se met en scène à des fins commerciales.

Vers une culture globale

Bourriaud, Nicolas, Radicant : pour une esthétique de la globalisation, 220 p, Editions Denoël, 2009, Paris

Dans son introduction du livre Radicant, Ncolas Bourriaud s’interroge sur les effets de la mondialisation sur la culture.

Cette question nous a paru intéressante car aujourd’hui l’image d’un territoire est construit par sa culture.

Nicolas Bourriaud nous explique que l’idéologie britanique du multi-culturalisme n’est en fait qu’un mot pour ne pas employer le terme de globalisation et produit l’inverse de ce qu’elle est sensée faire.

“Quant à la fameuse “hybridation culturelle”, notion typiquement postmoderne, elle s’est révélée être une machine à dissoudre toute véritable singularité sous le masque d’une idéologie “multiculturaliste”, machine à effacer l’origine des éléments “typiques” et “authentiques””p 12-13

Pour lui, la culture est bien devenue unique et globalisée.

On retrouve aussi les idées de John Urry et Paul Virilio lorsqu’il dit que “Les différences culturelles, momifiées dans un sirop compassionnel, seront ainsi sauvegardées dans le village global – afin sans doute, d’enrichir les parcs à thèmes dont le touriste culturel se régalera.” p13

Pour Nicolas Bourriaud, la culture se réduira à mettre sous cloche des marques culturelles fortes pour le montrer au monde. Mais il s’agirait plus d’une culture passéiste et non contemporaine dans le sens où il n’y aura plus qu’une seule culture pour tout le monde.

Plutôt qu’un multi-culturalisme, Bourriaud expose sa théorie de l’alter-modernité, c’est-à-dire qui appartient à son temps. Il pense à une culture qui serait l’inverse de la politique de globalisation. Cette culture pourrait naître des différences et des singularités contrairement à la globalisation qui est basée sur la standardisation.

Il fait d’ailleurs un parallèle plus loin dans son livre en dénonçant la consommation de masse qui est régie par des grands groupes qui cherchent à se développer et donc à vendre leurs produits dans un maximum de pays. De ce fait, ils uniformisent les modes de vies.

La déterritorialisation, comme vu plus tôt, évoque l’absence de frontière. On retrouve cette idée chez Nicolas Bourriaud qui explique qu’avec les flux migratoires, financiers, d’expatriations, la densification des réseaux de transports et l’explosion du tourisme de masse “déchaînent de violents replis identitaires, ethniques ou nationaux.” Il n’y a plus de limites. Il donne comme exemple le language où il existe des milliers de langues mais quatre sont parlées par la majorité des populations. Et cela tend à s’uniformiser.

Par ailleurs, il met en cause internet qui permet de véhiculer des idées très rapidement avec la mise en réseau de grands médias. On peut d’ailleurs faire un parallèle avec Google Earth qui nous permet de voyager depuis notre salon. La relation entre l’espace et le temps est comme nul.

Mais internet permet aussi de protéger des particularités locales ou nationales en les exposant sur la toile.

Pour finir, Nicolas Bourriaud pense que “le paysage” mondial est modelé par la pression d’une surproduction d’objets et d’informations ; et par une uniformisation des cultures et des languages. La diversité doit devenir une valeur en constituant des catégories de pensée. Il parle d’échanger plutôt que d’imposer. Son alter-modernité se veut en dehors de tout radicalisme.

Par ailleurs, il nomme son livre “Radicant” qui à l’image d’un rhizome n’a pas d’origine mais une multitude d’enracinements simultanés ou successifs.

A travers ces ouvrages, nous avons noté la prégnance de l’idée de temporalité qui s’en trouve être bouleversé par le progrès technologique ( causé par la globalisation selon Nicolas Bourriaud) et modifie l’interaction entre l’homme et son environnement.

Avec internet pour exemple, nos rapports à l’espace et au temps sont diffus dans un espace ou “lieu” virtuel qui nous donne accès à une plus large culture du monde. Et nous offre la possibilité d’échanger différentes cultures sans les imposer aux autres. Internet enrichit donc nos connaissances sans nous obliger à adhérer à une culture spécifique.

Ce contact distancié avec ce support fausse en partie notre réalité car ce support médiatique dirige notre regard sur ce que l’on veut nous montrer.

Ce qui nous ramène au tourisme, qui conduit pour certain à une violente réalité.

Néanmoins, les visites touristiques sont adaptés aux touristes pour les conforter dans leurs voyages, ils ne visitent alors que des sites qui embellissent l’image du pays.

La mondialisation n’est pas forcément la bête noire décrite dans ces ouvrages. Certes, elle efface les frontières, mais dans un même temps, elle ouvre les pays au reste du monde et permet de les développer. Nicolas Bourriaud pense que la mondialisation a globalisé les cultures et qu’elle engendre une perte d’imaginaire.

Pour nous, elle permet d’accumuler un savoir qui augmente l’imagination.

Finalement, quelle serait l’image du monde si cette déterritorialisation tendait à se globaliser ?

Image

Planète Coruscant, Star Wars.

Sylvie Ly – Marine Patey

Cliché n° 1 : Les Roms viennent de Roumanie

« Il est difficile de présenter une population quand on ne peut pas la nommer, quand elle n’est pas homogène, qu’il ne s’agit ni d’un groupe, ni d’une ethnie, ni d’une stricte catégorie socioprofessionnelle, et qu’on ne peut sinon la définir du moins la désigner d’un mot ». Cette première phrase d’introduction à l’ouvrage de Colette Pétonnet, On est tous dans le brouillard, devient la notre aujourd’hui car elle dresse la première raison pour laquelle nous avons tant de mal à définir les Roms. Commençons par les basiques : d’où vient cette nomination « Roms » ?

Le terme « Roms » désigne un ensemble de population originaires du nord-ouest de l’Inde dont leur langue, le romani, en est le témoignage. En fuyant cette région d’origine, ils se sont majoritairement installés en Europe orientale et centrale (Roumanie, Bulgarie, Ex-Yougoslavie) mais aussi en Turquie, en Iran, en Amérique ou encore en Australie. Ce n’est qu’après la chute des régimes communistes que les Roms migrent en Europe occidentale.

Nous sommes donc face à un premier constat intriguant : les Roms forment un peuple qui se proclame comme une nation sans pour autant posséder de territoire.

Peut-on parler d’une nation transfrontalière ?

A notre connaissance, la situation est ici inédite. A vouloir s’intégrer dans un lieu précis tout en étant présent dans diverses régions du monde, l’intégration de ce peuple ne prend aucune forme concrète.

Emmanuelle ANTOINE, Marine FERREIRA, Florence GRILLET