Raynaud, Comment l’architecture peut être générée par un acte de marginalité

Jean-Pierre Raynaud , artiste contemporain de renom notamment grâce à ses énormes pot de fleurs, a vécu une marginalité choisit.  Cette marginalité s’est exprimée par l’architecture et l’isolement qu’elle lui a procurée de par la création de sa maison et le besoins de pureté qu’il éprouvait pour son œuvre. Cette marginalité a suivit un processus en différentes étapes qui s’étalèrent sur 24 ans, elles marquent toujours une avancée dans la relation qu’entretient cet homme avec son domicile qui gagne une valeur spirituelle, voir presque d’être.

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1/ Refus des conventions et de l’ordinaire

En 1969 Jean Pierre Raynaud s’installe dans une maison banal à Saint Cloud qu’il a construit avec sa femme. Très vite  il s’aperçoit  que cette vie classique, normale n’est pas faite pour lui, elle ne lui convient pas!  Alors il y met un terme: il divorce et détruit alors le foyer construit avec sa femme. Il conserve la maison et cherche à s’en réapproprier l’espace.  

« J’ai voulu construire une maison, mais comme la maison de tout le monde, c’est-à-dire une maison pour habiter avec ma femme. (…) J’ai vécu quelques mois dans cette maison. C’était une expérience nouvelle pour moi, et là, j’ai compris que je ne pourrais jamais m’adapter à un lieu, entre guillemets normal. (…) J’ai senti qu’il fallait que je remette en question tout, une partie de mon existence en tout cas (…) J’ai commencé par divorcer, ça a été la première chose. Je me suis dit : « il faut déjà réapproprier le sens de mon corps, de ce que je suis. »

2/ Recherche de l’utopie d’un lieu idéal

Seul dans sa maison, Jean-Pierre Raynaud part à la recherche de l’esthétique d’un lieu idéal: comment peut-il se définir? Il y parvient avec l’architecture en recherchant la pureté d’un lieu. Il la met en œuvre grâce à la monochromie de surfaces recouvertes par un matériau unique et assez courant: le carreau de faïence blanc . Il devient alors omniprésent  dans l’espace et recouvre chaque m² de son habitation. La maison prend dés lors la dimension d’une  œuvre d’art avec la pureté qu’elle dégage, l’éclat blanc de la faïence redécoupé par les joints noirs qualifie l’espace.

 » Au bout d’un certain temps, je me suis aperçu que ça ne suffisait plus, qu’il y avait une sorte d’engrenage pour récupérer un peu cet espace, mon espace à moi et j’ai fait appel à un matériau qui était déjà dans mon travail depuis les années 62-63 : le carrelage. Ce carrelage, blanc, basique, quinze sur quinze est quelque chose, je crois, qui fait vraiment partie de notre mémoire collective, on ne s’en rend pas compte, mais c’est un matériau que tout le monde connaît au XXe siècle, que tout le monde a rencontré ou rencontrera dans sa vie, simplement pour un séjour dans un hôpital. Et je vais même aller plus loin, sans vouloir être obsédant, mais je suis allé jusqu’à la morgue pour vérifier également qu’il était employé dans ces lieux, comme ça, qui ont besoin d’être nettoyés. Alors, ce matériau, au lieu de me faire peur, au lieu de me raconter des histoires, et tout ça, je me suis mis à l’aimer, à avoir une intimité avec lui, et la plus grande intimité que je pouvais réaliser, c’était de vivre avec. (…) Je deviens fou, dans le sens stimulant du terme, et là, je comprends que je vais vers une architecture absolue…que ma vie va rentrer dans une autre définition. « 

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3/ Isolement: Ermitage dans un coffre fort

« Et j’ai fermé la maison : je me suis enfermé dans ce lieu. »

L’artiste reçoit couramment des visiteurs dans sa maison, mais un jour, le 1er septembre 1988, il décide d’être le seul à en franchir le seuil, cela va durer 6 ans! Il est important pour lui que seul son regard se pose et puisse suivre le parcours de la lumière du ciel sur l’espace carrelé. Son fantasme de lieu idéal s’accompagne du désir de protection des agressions du monde extérieur. La maison devient un véritable Bunker: le langage architecturale qu’emploie l’artiste pour désigner les parties de sa maison est un vocabulaire défensif « meurtrière », « crypte », « mirador ». La maison transformée en blockhaus est peinte en kaki, recouverte de filet de camouflage et protégée par des barbelés et des projecteurs mobiles. 

5/ Destruction

Enfin du 22 au 26 mars 1993 Jean Pierre Reynaud dirige les travaux de la démolition de sa maison, l’acte est d’une grande violence: il détruit à jamais le travail d’une vie, 24 ans, et la maison dans laquelle il a vécu reclus pendant tant d’années, dans laquelle il a été au bout de ses obsessions. Les gravas de la maison sont répartis dans 1000 containers  en acier, ils prennent la valeur de 1000 sculptures indépendantes, ils seront réunis une dernière fois dans la grande nef du CAPC d’art contemporain avant leur dispersion finale.

« Quand j’ai pris conscience, en 1988, qu’elle était réellement terminée, cela a été un choc terrible, comme l’aboutissement d’une recherche, la fin d’une vie. Je n’ai pas voulu accepter que ma relation avec elle prenne fin, aussi, durant quatre ans, j’ai réfléchi sur le sens de cette  » oeuvre  » qui m’échouait comme si je devais en être le gardien jusqu’à ma mort. J’ai réalisé qu’étant unique elle méritait plus d’audace et d’égard que cette architecture parfaite, figée qu’elle était devenue – ce qui est le propre des objets d’art -, il me fallait lui faire subir un sort exceptionnel, digne d’elle. Je décidai de la métamorphoser, de l’emporter ailleurs, de lui faire vivre une expérience absolue. Pour cela, elle devait se soumettre à une ultime transformation : la démolition. « 

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Cet acte architectural personnel et unique peut être vu comme un acte de folie, néanmoins on le considère comme une œuvre: on dit que cette maison c’est son plus grand chef d’œuvre, des livres, films racontent cette histoire. Ses gravas mis en scène son considérés comme des œuvres à part à entière. Ainsi cela vient-il d’une curiosité malsaine de la société pour un être marginal qui vit réellement sa folie? Ou son processus créatif autour de cette maison pendant toutes ses années prouvent le génie d’un artiste et ses obsessions?    

La maison de Jean Pierre Raynaud: Construction Destruction 1969-1993, Michelle Porte Broché, Editions du Regard (6 octobre 2011), Paris

Esther ADEQUIN, Emilie BERTHELOT, Julien DENIS, Sarah VASSEUR

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